Vague d’inspiration

Qu’est-ce que vous ressentez face à cette Vague monstrueuse qui menace de s’abattre ? A quoi vous penseriez si vous étiez l’un des hommes cernés par la prison d’eau dans une des misérables embarcations qu’on peut observer dans le creux de la Vague ? Seriez-vous en train de prier ? Songeriez-vous à votre femme, vos enfants, vos parents que vous ne reverriez sans doute plus jamais ? Vous auriez peur. Vous seriez terrorisé. Vous pourriez aussi être, peut-être, plein de haine vis à vis de ce mur d’eau tellement plus grand que vous, qui prétend tout vous enlever, votre souffle. Votre vie.

Moi quand je regarde la Vague qu’Hokusai, je suis prise d’un vertige. J’ai presque envie de pleurer. Je ne sais pas pourquoi. Ce n’est qu’une image, une estampe, je le sais, mais ses lignes, ses couleurs me vrillent le ventre et cette vague que je ne connais pas, qui est loin de moi, qui n’est qu’une vague de couleurs, de papier, me semble plus réelle que la table sur laquelle est posée en ce moment mon ordi.

Cette Vague, j’en suis convaincue, parle à tous. Chacun la reconnaît et se l’approprie pour en faire sa Vague. On a tous une vague dans un coin de la tête. Il y a celle de l’enfant terrorisé par un monde trop grand pour lui, celle de la mère de famille qui ne sait pas comment elle s’en sortira, celle du jeune gars qui a fait une connerie et qui réalise que la vague risque de le broyer. Moi ma Vague, elle ressemble à quoi ? C’est l’air que je n’arrive pas à trouver quand je pense au futur, aux mauvais choix que j’ai faits dans ma vie, et dont j’arrive pas à me dépêtrer. C’est l’angoisse de continuer à me tromper et à entraîner mes filles avec moi dans ma chute…

Il y a ceux qui la rencontrent pour de vrai, cette vague. Vague inhumaine qui les emporte avec elle, indifférente à leurs cris de miséricorde, à leurs prières. Certains réchapperont de la vague. Ils penseront l’avoir domptée, elle les aura seulement épargnés… Entre temps, elle aura brisé leurs esquifs, à la manière d’une furieuse Moby Dick, elle aura désarticulé les corps de leurs compagnons, réduit leurs existences au silence. Et la peur, la terreur qui brûlait dans les yeux de ceux qui la contemplaient se sera tue à jamais.

Ce n’est pas par hasard si j’ai décidé d’initier l’aventure de mon blog BigSister is loving you sous les auspices de la Vague d’Hokusai. J’ai eu envie de partager avec vous l’émotion que je ressens quand je me trouve face à cette vague. Peut-être que l’angoisse s’allège quand elle est exprimée, partagée ? Je sais que je ne suis pas la seule à ressentir très fort la force de cette vague. Si 80 % d’entre nous est capable de reconnaître ce chef d’œuvre -même s’il est incapable de citer son auteur, et c’est pas grave, la vie, c’est pas un Trivial Pursuit-, c’est bien parce que le souffle de cette Vague n’en finit pas de se propager à travers les siècles et d’inspirer les hommes (les déclinaisons artistiques de cette vague sont peut-être aussi nombreuses que celles de la Joconde…). L’écho de cette Vague est puissant comme le sont les œuvres universelles, qui réussissent à s’affranchir des territoires culturels, spatiaux et temporels pour atteindre l’âme.

Plus que tout, Big Sister is loving you aime les créateurs, ceux qui l’inspirent, ceux qui inspirent le monde. Ceux qui le rendent le plus beau, ceux dont le travail transforme dans le silence et en profondeur celui qui en est spectateur. Cette vague d’Hokusai est une leçon de modestie, une gifle à la Vanité. Les hommes sont petits et mortels. Mais la vague est encore là, elle. Elle continuera longtemps d’impressionner ceux qui lui feront face, ceux qui prétendront la défier. Avant de capituler et d’apprendre à l’aimer.

Illustrations : 

Hokusai pour la Grande vague

La Vague rouge : © Yuko Shimizu, avec son aimable autorisation. http://yukoart.com