Ceux qui comme moi commencent leur journée en consultant leurs quotidiens préférés en ligne auront constaté depuis quelque temps la multiplication des contenus cadenassés, c’est à dire réservés à leurs abonnés, les précieux lecteurs payants. Comme par hasard, les contenus les plus intéressants sont d’accès restreint (ou est-ce que les cadenas dorés confèrent par magie des qualités exceptionnelles aux contenus ainsi distingués ?). Ma lecture est devenue rapide et frustrante, mes passages éclairs se limitant souvent à la lecture des titres.
Le journal en ligne n’est pas rat; il propose une formule honnête pour consulter sans restriction son contenu. Celui-ci a une valeur, les directeurs de publication investissent, les journalistes font un travail et celui-ci doit être rémunéré. Les journaux fournissent un service qui possède une valeur ; celle-ci doit être reconnue et monétisée. Si on paye pas aujourd’hui, comment peut-on prétendre maintenir ce service demain ? Sur un plan rationnel, je comprends parfaitement, j’adhère totalement à la démarche. Je la défends. Pourtant, je ne m’abonne pas, et je n’entends toujours pas m’abonner.
Pourquoi suis-je aussi ingrate ?
Pendant des années, j’ai été une abonnée papier. J’aime l’idée de recevoir chez moi mes journaux, mes magazines préférés. Depuis que je vis à l’étranger, mes abonnements se sont révélés des fiascos : les magazines se perdaient, les quotidiens n’en parlons pas, j’avais toujours un train, un article de retard. Internet a tout changé. Des mise à jour continues, des sites à gogo pour croiser les infos et pas un rond à débourser.
L’idée qu’internet, « ce cyberespace » est de tous, s’est imposée. En quelques années, nous nous sommes approprié l’idée que tout ce qui circulait sur la toile, le savoir, les idées, les images, l’immatériel était en partage, libre d’exploitation. Ce qui est sur la toile, est de tous et appartient à tous, sans restriction. Le web a donc fondu le contenu dans le contenant. Un contenant pratiquement gratuit, mettant à disposition un contenu tout aussi gracieux. La mise en place du payant est dont perçue contre profondément antinomique. Frein à cette liberté tout azimut revendiquée, le payant prétend faire payer l’immatériel, le virtuel.
Je suis d’accord pour payer mon journal papier mais pas mon journal en ligne. Je suis prête à reconnaître la valeur de ce papier que j’ai entre les mains, ce tangible qui fait toute la différence… Ce qui me reste entre les mains, ce que je pourrais garder, qui est concret et confortable. La lecture sur écran – on aura beau grossir les caractères des textes- reste incommode: elle se télescope avec nos habitudes de lecture telle que nous les avons apprises sur nos livres et nos cahiers d’écoliers. Peut être que la généralisation de l’usage des écrans à l’école réduira cette fracture. Les enfants seront aussi à l’aise avec le scrolling d’une page qu’avec son balayage de gauche à droite.Peut-être que la révolution se fera lentement : on finira par admettre qu’un contenu virtuel est exactement identique à un contenu tangible. Et on se résoudra à payer. Mais quoi, si les journaux auront cessé d’exister ?!