La grande parano

Max-o-matic la grande parano dalila bellilLongtemps, j’ai cru tout ce que l’on me racontait. Ça vient de loin cette facilité avec laquelle on se laisse porter à croire. De l’enfance sans doute. Moi, je croyais au Père Noël, je croyais que les adultes savaient tout, que leurs promesses seraient tenues et leurs menaces mises à exécution. Je croyais qu’après la pluie venait le beau temps, que le bien triomphait du mal, en toutes circonstances. Je croyais que les hommes ne franchiraient jamais certaines limites parce que chacun d’eux dispose d’une conscience qui leur dicte une ligne rouge qu’ils ne s’autoriseraient en aucun cas à franchir parce qu’ils savent qu’ils ne doivent pas. J’ai longtemps cru que les médicaments faisaient du bien à mon corps et que ceux qui les produisaient étaient mus par le souci réel et sincère de sauvegarder l’espèce humaine. Je n’ignorais pas que les médicaments, avant d’arriver en pharmacie, se voyaient imposer une course d’obstacles, sous le contrôle d’experts graves et incorruptibles qui, après de longues tergiversations, des contrôles cliniques draconiens, accordaient aux laboratoires le sésame pour inonder le marché de leurs molécules : l’AMM, l’Autorisation de Mise sur le Marché. Ces gardes-fous me rassuraient. J’étais tranquille. Pareil pour la nourriture. Je faisais une confiance aveugle aux marques, aux distributeurs, aux producteurs (petites et grands), à tous ceux auprès de qui je m’approvisionnais en fruits, légumes, viande. Pourquoi aurais-je douté ? La France possède une législation sévère au service des consommateurs. Pourquoi me serais-je intéressée à la composition d’un paquet de biscuits, aux ingrédients d’un plat cuisiné, à la provenance de mon steak ? Si les produits se trouvaient sur les marchés ou sur les rayons de mon supermarché, c’était donc qu’ils étaient conformes aux réglementations en vigueur. Pourquoi aurais-je imaginé que ce que certaines entreprises agro-alimentaires proposaient aux consommateurs pouvaient les nourrir et les empoisonner dans le même temps ? Je leur faisais une confiance aveugle. C’était d’autant plus évident que ces marques avaient accompagné mon enfance. Il y avait un lien affectif fort. Elles faisaient partie de mon quotidien, elles s’inscrivaient dans de nombreux souvenirs…

Max-o-matic la grande parano dalila bellilEt puis. Il y a eu le scandale des lasagnes au cheval roumain pourri. Je suis tombée de haut. C’est comme si le petit théâtre aimable que j’avais construit s’effondrait. Je me suis sentie trahie. J’ai réalisé que je n’avais rien compris. Je me suis documentée. J’ai cherché. J’ai lu. J’ai découvert l’étendue de mon ignorance. J’ai réalisé que la recherche du profit se fonde sur un principe simple : la fin justifie tous les moyens. L’éthique est une coquille vide en Capitalie. Je suis alors passée d’une confiance aveugle à une défiance sourde, hostile. J’ai réalisé que derrière les marques les plus chouettes se profilaient des entreprises agressives qui méprisent la vie humaine, en tout cas celles des autres, à commencer par la mienne . Nous ne les intéressons que dans la mesure où nous consommons leurs produits ou que nous produisons à bas coût pour eux. Nous ne les intéressons que tant que nous leur permettons d’accroître leur profit, leur puissance, leur pouvoir. En clair, nous (c’est à dire 95 % des habitants de la planète) ne sommes que des citrons qu’elles pressent, pressent jusqu’à plus soif. Peuchère, quel destin.

Max-o-matic la grande parano dalila bellilJe ne crois pas être la seule à ressentir que la confiance qui m’animait s’est brisée. Le monde occidental traverse une période de paranoïa aiguë dans laquelle internet et les internautes jouent un rôle clé. Cette méfiance n’épargne aucune forme d’autorité traditionnelle : la classe politique, l’entreprise, les médias, les intellectuels, les médecins, les laboratoires pharmaceutiques, les experts, les chercheurs … Ce que semblent dire les résultats des élections ici et ailleurs, les tensions sociales, la montée des mouvements organisés de la société civile, c’est l’exaspération à être pris pour un con. Or une société où le lien social,se délite, miné par la conviction de la grande majorité à être méprisée par l’élite, « la crème de la crème », une telle société est clairement en danger. Qui sait ce que ce moment particulier de notre longue histoire humaine enfantera ? De nouveaux monstres ? Ou de nouveaux rêves ?

Illustrations : l’utilisation des images a été aimablement autorisée par leur auteur © Max-o-matic.

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