Hier soir, j’ai fait un puzzle (woah, quelle vie). Je vais pas mentir : j’adore ça. Quand j’étais gamine, je trouvais ça horrible (je me souviens de ces tables basses de salon sur lesquelles 2000 pièces représentant une jument et son poulain attendaient des mois d’être rassemblées par un adulte maniaque ou un enfant déjà dépressif). Depuis que je suis mère, j’ai réalisé que j’étais passée à côté d’un jeu extraordinaire. Aujourd’hui, je suis heureuse : ma petite dernière est méga forte en puzzles et je profite de sa passion pour faire, défaire, refaire ces jeux avec elle, et récupérer les plaisirs perdus…
J’ai eu l’incroyable idée la semaine dernière de lui offrir un nouveau puzzle -tiens donc, comme c’est original. Mais comme j’ai envie que mes filles apprennent en s’amusant (quelle maman), j’ai choisi un puzzle magnétique de la France que j’avais déjà décidé de placer sur la porte du frigo. 100 pièces. Ma fille ne semblant pas pressée de s’y coller, j’ai commencé sans elle. J’avais mes raisons : avec ses cinq ans, ses connaissances limitées en géographie réclamaient un coup de pouce. Comme je suis bonne mère, je ne me suis pas fait prier.
J’ai tout de suite regretté l’idée des magnets. Pas du tout pratique. Les pièces sont illisibles ; elles s’emboîtent mal, se chevauchent. L’exercice s’annonçait plus difficile que prévu mais j’en avais vu d’autres (puzzle de Frozen, Noël 2017). Je jette un coup d’œil à l’ensemble des pièces. Beaucoup de bleu clair : la mer. Et du gris. Je commence par les pièces grises : les pays frontaliers. Parce que la France, d’abord, se définit par ce qu’elle n’est pas. Elle n’est pas l’Allemagne, la Suisse, l’Italie, ni l’Espagne … Je continue avec ses périphéries, les zones de contact avec les autres pays : le Sud-Est, les Alpes, le Jura, le Nord, le Grand Est…etc .C’est la partie la plus facile. Après, ça se corse.
Dieu merci, j’ai des notions de géographie française, je connais même le nom des nouvelles régions mais ça ne m’aide pas beaucoup. J’y comprends plus rien. Il faudrait que je définisse et que je place le cœur de la France, et que je construise ma France autour. Mais c’est quoi le cœur de la France ? L’Auvergne, le Massif Central ? Le Val de Loire ? En vérité, on sait tous que le cœur de la France, c’est l’Île de France. C’est 1/3 du PIB, c’est là que tout se décide, tout se joue, l’avenir des régions, du pays tout entier. Mais dans mon puzzle, l’Île de France a droit à un pavé à part, qui la place dans la Manche. Ça me perturbe. L’Île de France, c’est toujours la France, ou c’est un espace déconnecté, plus tourné vers le reste du monde que vers les frontières intérieures du pays ?
J’ai du mal à rapprocher les départements les uns aux autres, à trouver les liens entres les régions. Qu’est ce qui fait la France ? Comment rassembler mes pièces pour redonner son unité à cette France de magnets ? Pourquoi construire ce puzzle est-il si laborieux ?
J’ai soudain une idée de génie : rassembler les pièces par couleurs. Les concepteurs ont dû sentir qu’ils étaient en train de pondre le puzzle du siècle, peut-être qu’ils envisageaient de le faire en noir et blanc (concepteurs sadiques). Ils ont dû avoir pitié de l’amateur de puzzles moyen. Ils ont mis des couleurs, on les applaudit bien fort.
Les couleurs de la France, plus que ses découpages administratifs, ça c’est autre chose. Et là petit à petit, une France très gaie, bigarrée se forme sous mes yeux fatigués. Mais je croise une nouvelle difficulté : la mer. Ce bleu omniprésent qui ceinture le pays. On y voit des îles qu’on n’est pas du tout habitués à situer là : c’est l’autre France, celle des Départements et Régions d’Outre-Mer. Il y en a cinq. On tombe sur Mayotte et Mamoudzou. On se demande : c’est vraiment la France, ça ? Ben oui, c’est aussi ça la France. C’est même plus que ça parce qu’il manque d’autres territoires qui ont des statuts particuliers : la Polynésie, la Nouvelle-Calédonie, Saint-Pierre et Miquelon, les Terres australes, etc. C’est énorme, la France et c’est partout.
Faire coexister tous ces morceaux de France, toutes ces couleurs, les faire tenir ensemble, c’est vraiment beaucoup moins simple qu’il n’y parait. Ça demande des efforts mais c’est jouable.
Et puis tout à coup, ma fille apparaît. En vraie professionnelle, elle ne dit rien, elle s’empare des dernières pièces, jauge le travail accompli par sa fourbe de mère et les place d’une main assurée. La France est là enfin, entière, dans son évidence et ses couleurs. Je me dis que le résultat est très beau et qu’il méritait tous ces efforts.