Imaginez que vous êtes un nomade de l’univers. Qui voyage au gré des étoiles. Et des milliers de voix chantent dans votre mémoire. Maintenant supposez que vous êtes cet homme qui ne peut que deviner les merveilles qu’il aurait pu connaître. Et qui pourtant maintenant, existent comme une énigme, dans la cinquième dimension…
Ces paroles vous parlent ? Bravo ! Cela signifie que vous avez regardé lé télé dans les années quatre-vingt et que vous maîtrisez vos classiques … Je vais éclairer les autres : il s’agit de la conclusion d’un épisode de la Cinquième dimension, série des années quatre-vingt qui m’a souvent filé les jetons. Quand je suis face aux œuvres de Julien Pacaud, je ne peux pas m’empêcher de penser que ces paroles lui sont personnellement adressées.
L’illustration ci-contre de Julien Pacaud « CLUEDO » (artiste parisien (yeah!) né en 1972 ), me fascine car ce qu’elle raconte est mystérieux, angoissant voire prophétique. Dans un paysage apocalyptique aux couleurs sourdes, un couple rétro et chic pose au milieu d’un nuage de sable, et balaie tranquillement le cadre d’un faisceau lumineux qui émane de leur visage. D’emblée, on est frappé par le contraste entre la pose désinvolte du couple de mannequins qui semble tout droit découpé dans un catalogue de prêt à porter pour élégantes et élégants d’avant-guerre et le chaos qui les entoure. Un couple factice, un couple de papier. On ne comprend pas bien si l’homme et la femme sont à l’origine de la scène de dévastation, en tout cas, ce que leur pose nonchalante suggère, c’est qu’ils n’en ont pas peur. On a l’impression d’avoir affaire à des géants, des créatures à l’apparence humaine mais à l’origine extra-terrestre. C’est un montage (un collage) qui ne se cache pas d’être un montage. Cette image me renvoie à l’un de mes premiers chocs (traumatismes) visuels : un épisode de la Quatrième dimension (et oui il n’y a pas eu seulement la Cinquième, il y a eu d’abord la Quatrième, en noir et blanc) où la terre était, comme dans la Guerre des Mondes, attaquée par des extra-terrestres. Je devais avoir huit ans, je ne sais plus trop bien, ce qui est sûr c’est que j’étais bien trop jeune pour être exposée à ça. Un récit effrayant pour une petite fille sensible et facilement impressionnable. Je me souviens de ces gigantesques tripodes (semblables à des éoliennes) qui détruisaient de leurs rayons laser maisons, voitures et terrorisaient les populations. Je ne me souviens pas tellement d’autre chose sinon de la peur. La peur des personnages. Et la mienne.
Dans ses œuvres, où les références esthétiques aux années cinquante et soixante sont très présentes, Julien Pacaud, met en scène une humanité factice, des sourires de façade figés, des situations à la limite du réel. Il nous introduit dans un monde qui ressemble au nôtre, mais c’est un décor cauchemardesque qui vient nous hanter. Avec Julien Pacaud, nous abordons de plein fouet la Cinquième dimension, la Twilight Zone. Nous touchons à nos peurs. Julien Pacaud nous montre combien elles nous ressemblent. Ses dessins, illustrations sont des toiles à l’angoisse silencieuse, qui nous obligent à retenir notre souffle. Nous plongeons dans un univers à l’apesanteur inquiétante que nous sommes incapables de quitter. Fascinés, nous explorons cet univers qui semble à la fois ordinaire et étrange. Nous reconnaissons des traces familières, des décors qui semblent anodins, anecdotiques. Mais dans ses œuvres, Julien Pacaud introduit des éléments anormaux, qui n’ont pas leur place dans le décor. Et ce décalage nous glace le sang, car on le sent porteur d’une menace latente. Dans la Cinquième dimension, le passage d’une situation normale à la Cinquième dimension tenait à des détails, et le téléspectateur fidèle avait appris, au fil des épisodes, à être attentif au scénario pour anticiper avant le personnage, le piège dans lequel celui-ci était sur le point de tomber. Quand on est face à une illustration de Julien Pacaud, on sent un vague malaise nous envahir. On sent que ça tient à l’aspect factice de l’ensemble mais on pressent surtout que derrière le décor, se cache un trou noir, qui menace de nous engloutir. Et ce trou noir, on le sait, on le sent, est l’antichambre de la Cinquième Dimension.
La magie de Julien Pacaud tient à la poésie silencieuse et glaçante qu’il insuffle à ses œuvres. Qu’on le veuille ou non, qu’on ait peur ou non, impossible de ne pas se laisser hypnotiser.
Illustrations :
L’utilisation des illustrations de Julien Pacaud a été gentiment autorisée par l’artiste.
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