Michael manque vraiment. C’est la première pensée qui m’a traversée quand j’ai vu hier sur un écran danser Bruno Mars, présenté depuis ses débuts comme l’héritier du King, Michael Jackson. Je suis restée plantée devant la télé à le regarder se trémousser. Le son était coupé, donc après deux minutes, j’ai laissé tomber. J’ai rien contre Bruno Mars, c’est juste que je ne le connais pas. Il est arrivé trop tard dans ma vie, ou peut-être est-ce moi qui suis arrivée trop tard dans la sienne… En tout cas, entre nous, rien ne sera possible. Que voulez-vous, les histoires d’amour, c’est d’abord une affaire de timing.
Michael, lui, il est arrivé tôt dans ma vie. C’était au début des années 80. J’avais quoi, neuf ans ? Je m’en souviens comme si c’était hier. Je découvre à la télévision le clip terrifiant de Thriller. Choc. Intuition que ce mini-film marquerait le début d’une nouvelle ère de bonheurs musicaux. Je retiens le nom du chanteur, dévale les escaliers de mon immeuble et cours vers mes copains partager ma découverte. Comme s’ils m’avaient attendue ! Tous les gamins du quartier ne parlent que de lui. Puis, c’est Beat it. Nous tentons d’imiter les bandes de bad boys, le pas stylé et unique de notre nouvel idole. Billy Jean est sur toutes les lèvres. Nous sommes en amour de Michael. En l’espace de quelques chansons, il s’impose comme le roi de la Pop. Ses chansons illuminent nos existences de gamins sans histoires. Avec Michael, je commence à rêver. Je nous imagine une amitié indéfectible, qui s’affranchit des obstacles de la langue, de l’âge, de la culture. Je chante à ses côtés, dans des duos de légende, je tente de danser comme lui. J’imite ses pas. Grâce à Michael, je découvre la musique noire, la funk, la soul, le blues. C’est tout mon univers musical qui se construit. Je sors définitivement de l’enfance musicale.
Les albums suivants poursuivent le rêve. Bad, Dangerous révèlent un Michael plus mature, des mélodies plus sophistiquées. J’adhère. En parallèle, Michael a initié son processus de transformation physique. Le look est androgyne, sombre, cuir. Il est moins craquant que pour Thriller, mais bon…Michael répète à l’envi qu’il est Bad, pourtant son physique d’éphèbe exprime le contraire. C’est là que le monde aurait dû s’alarmer. Comprendre que Michael avait des problèmes, comme cette obsession à paraître le contraire de ce qu’il est. Blanc alors qu’il est noir. Méchant alors que c’est un gentil…
Les années 90 marquent un tournant dans ma relation avec Michael. Physiquement, Michael qui s’est montré discret longtemps, apparaît de plus en plus méconnaissable. Le visage est remodelé, le nez raboté, les yeux redessinés, le tout passé à l’eau de javel. Il ne reste rien du beau noir de Billy Jean. Je sens qu’il se passe quelque chose de grave, que Michael est en train de glisser, de se perdre, et les années qui suivent confirment mon inquiétude.
Les derniers albums semblent anecdotiques. Invincible, Past Present Future… Malgré quelques jolies pépites, je ne suis pas convaincue. Je n’achète pas. Michael vieillit mal. Son style semble usé, dépassé. Le monde vibre au rythme du r’n’b, du hip-hop, de l’électro, tandis que Michael reste rivé dans les années 80. J’ai peur qu’il ne soit définitivement dépassé, ringard. Là où Madonna réussit à chaque nouvel album une renaissance, qui adhère à l’air du temps, Michael échoue et semble incapable de recycler, de faire évoluer son talent. On peut rétorquer que la démarche créative de Michael n’a rien de marketé, elle…
Chacune des apparitions télévisées de Michael est un crève-cœur, qui permet de mesurer l’étendue des dégâts. Michal semble momifié, sorti d’un autre temps. Ses extravagances (boulimie d’opérations de chirurgie esthétique, sorties avec masque, caisson d’oxygène, ranch de Neverland) susurrent ce que nous n’osons pas reconnaître : Michael est un gamin attardé, un adulte avec de gros problèmes psychologiques. Je souffre de mon impuissance à sauver mon héros, mon idole. Je détourne le regard… Trop douloureux de reconnaître que celui dont j’attendais tant n’est pas à la hauteur de mes rêves d’enfant. Pauvre Michael, dont j’attendais tout, l’impossible,le rêve, l’inhumain. Pauvre Michael que je refusais d’entendre lorsqu’il chantait : But I’m only human…
Je me réfugie dans ses premiers albums que j’écoute en boucle et ignore les nouveaux, ceux qui incarnent la déchéance, la déception. Mais pas le désamour. Car au fond de mon cœur, je cultive une affection, une tendresse très forte pour Michael. Je le défends lorsqu’il est attaqué, critiqué. Je lui offre mon soutien indéfectible lorsque le scandale pédophile éclate… même si les doutes m’assaillent. Impensable de laisser tomber Michael dans un moment pareil.
Maintenant, il faut supporter de vivre sans Michael. Accepter qu’il n’est plus, ne sera plus. Qu’il a disparu de la surface de la terre. Qu’il n’est plus avec nous. Choc de penser que c’est arrivé. Michael est mort il y a huit ans. On croit que ceux qu’on aime seront toujours là, à nos côtés, parce qu’ils sont exceptionnels et qu’ils tiendront la mort en échec. On ne s’inquiète pas tant. Et puis non, on réalise qu’on s’est leurrés. Avant d’être un artiste, Michael était un homme fait de chair et sang. Avec un cœur qui pouvait faiblir et s’arrêter sans prévenir. On le croyait immortel (et peut-être le croyait-il également), on pensait à lui comme à une chose certaine, un proche, un parent, dont la présence, même lointaine, rassure et conforte. On n’imaginait pas qu’un jour, il nous quitterait et nous laisserait orphelins, avec pour héritage sa merveilleuse musique et son seul souvenir pour nous consoler.
Le Moonwalker n’est plus. Et nous finirons par partir à notre tour, également. C’est peut-être pour cela que la mort de nos idoles nous bouleverse tant. Avec leur mort, c’est l’idée de notre propre mort qui fait intrusion. Grands enfants que nous sommes, nous oublions parfois qu’un jour ou l’autre, viendra notre heure !
Mais c’est pas si grave, au fond. Parce que quand nous serons là-haut, nous irons danser avec Michael.