En 2013, Bansky , « l’artiste de rue » que tout le monde connaît sans avoir jamais vu son visage, se lance à l’assaut de New York. Pendant un mois, chaque jour, il offre à la Grosse Pomme une oeuvre. Personne ne sait à l’avance sur quel mur il taguera son travail ou dans quel endroit il réalisera sa performance. Pour le découvrir, les New-Yorkais, se lancent dans une chasse au trésor, aidés seulement par les indices postés par Bansky sur son compte Instagram, très tôt le matin lorsque l’oeuvre est prête à être vue. Le défi pour ces fanatiques : dénicher le lieu avant que l’oeuvre ne soit recouverte de peinture par les autorités (car tagger un mur est considéré par la loi comme un délit, peu importe la célébrité de son auteur) , vandalisée par d’autres « writers » qui considèrent Bansky l’Anglais comme un « envahisseur », ou pire, un vendu, ou volée par les premiers arrivés qui savent qu’un bout de mur, une porte élue par Bansky fait de son heureux propriétaire un nouveau riche.
De cette chasse au trésor, de cette résidence new yorkaise de l’artiste, HBO en tire un documentaire passionnant : « Bansky does NY », ce qu’on pourrait traduire par « Bansky se tape NY ».
On aura tout dit, tout écrit sur cet artiste au mystère soigneusement entretenu. Après des mois d’enquête, certains journalistes, ont même supposé que le chanteur de Massive Attack, Robert del Naja, était Bansky. Aucune confirmation à ce jour. Mais ce n’est pas la bonne question. Que nous importe qui est Bansky ? Ce qui m’intéresse, ce qui me touche, c’est son travail, et ce qu’il révèle de nos sociétés, malades de l’argent, de l’apparence, de l’obsession de faire partie des happy few, qui pensent comprendre mieux que les autres le sens d’une oeuvre ou d’un événement.
Dans le film, les interventions de Bansky déclenchent des réactions en cascade : l’oeuvre n’est pas seulement ce que nous voyons, mais ce qui se passe en nous à son contact, les réactions qu’elle déclenche, ce qu’elle dit de nous. Les prolétaires d’origine hispanique que nous voyons emporter le Sphinx de Bansky n’ont jamais entendu parler de l’artiste. Mais à voir tous ces gens bien habillés se pâmer devant un tas de cailloux, ils se disent qu’il se passe un truc, et surtout du fric à gagner. Ils n’ont pas tort. Pour acheter la maison de leurs rêves, ils n’hésitent pas. Pierre par pierre, ils déplacent le Sphinx pour l’entreposer derrière les vieilles machines à laver, les séchoirs pourris qui moisissent dans le garage de l’une de leur grand-mère. Ils contactent un galeriste influent de Long Island, qui par l’odeur alléché, rapplique aussitôt avec ses assistants dans cette banlieue prolo de NY, où il n’avait jamais mis les pieds. Tel un rapace, il sent la bonne affaire, d’autant que ses nouveaux clients avouent ne rien comprendre à l’art, « Ah ah, réplique-t-il, dans un gros rire. Tant mieux« .
Ca ne s’arrête pas là. Bansky est comme un virus. Au fil des semaines, la fièvre monte chez tout le monde. Il y a ceux qui s’arrachent les cheveux pour avoir raté les ventes anonymes de toiles originales signées Bansky sur un stand tenu par un petit vieux (vendues 60 dollars, elles rapporteraient 250 000 dollars à leurs très rares acheteurs), ceux qui ne supportent pas le succès de ce Zorro de l’Art, ceux qui s’enrichissent soudainement parce que leur porte, leur mur ont été élus pour porter la signature de l’artiste, ceux qui se voient aidés par un coup de pouce volontaire de Bansky (comme une association qui aide les personnes séropositives) qui sait et maîtrise plus que quiconque la valeur de son nom, ceux qui exultent parce qu’ils ont réussi à prendre un selfie avec l’arrière d’un camion destiné à transporter et diffuser du calme… C’est plutôt le délire qu’il déclenche sur son passage.
On peut tout reprocher à Bansky, on peut critiquer son style, sa méthode, l’ignorer. On ne peut en revanche lui dénier une grande habilité et une intelligence aiguë. En un mois, à New York, Bansky ne sème pas seulement des œuvres éphémères sur son chemin, il ne bouscule pas seulement nos certitudes et les conventions sur la place et la fonction de l’Art. Il nous tend un miroir. Et ce que nous y voyons n’est pas toujours beau à regarder…
Illustrations : © Bansky – banksy.co.uk