Je m’étais promis dès sa sortie de ne pas rater ce film. Les mois ont passé, je l’ai laissé disparaître des grands écrans, mais quand mon regard a croisé son dvd la semaine dernière sur les étagères de la vidéothèque communale, ma négligence a été illico réparée.
Ce qui est rare dans les scénarios proposés au cinéma, c’est l’originalité du sujet. Et Captain Fantastic n’en manque pas. En deux paroles, un couple hautement cultivé -elle, ancienne avocate, lui, on ne sait pas, mais balèze en tout cas, capable d’enseigner les langues les plus variées (esperanto, allemand…), la physique quantique, la littérature, l’escalade, la médecine – réparer des os, la survie en milieu hostile, etc. – décide de quitter le « système » modelé par « les puissants pour asservir les pauvres », bref la vie que tout le monde connaît -vous, moi- pour vivre à l’écart, dans les bois et y élever leurs six enfants –futurs rois philosophes.
Les enfants grandissent, se déploient physiquement, intellectuellement. Ils se nourrissent d’idées (de gauche : Noam Chomsky est la référence), ils lisent à toute heure de gros bouquins dont je n’ai pas compris le titre, sont éduqués à faire preuve d’esprit critique, d’autonomie. Le père n’a aucun tabou. Il leur parle de tout, de la mort, du sexe et a confiance en eux. Dans ce tableau idyllique, qui nous donnerait presque envie de prendre comme eux le chemin de la « caverne », une ombre : une mère fragile, fragilisée par une dépression post-natale. Une femme si instable qu’elle se suicide. Ce drame bouleverse l’équilibre familial et remet en question le modèle voulu par le père, ses croyances. C’est une douleur atroce pour le père de comprendre qu’il s’est peut-être trompé. Le prix à payer sera alors élevé…
Ce film est d’une richesse incroyable et chacun peut y puiser des éléments de réflexion. Il évoque le rôle des parents, la transmission filiale. Captain Fantastic a fait de ses enfants des sur-hommes pour – en est-il convaincu- les préparer au mieux au monde. Quelle place peuvent trouver de tels enfants – brillants, cultivés, incroyables- parmi les hommes médiocres ? L’éducation familiale n’en a-t-elle pas fait des monstres ? Peut-on vraiment ignorer le monde réel, ses exigences, le tenir à distance, faire comme s’il n’existait pas, pour ne pas perdre sa « pureté » ? C’est tout l’enjeu de ce film que de pousser son héros, le père, à renoncer à ses idées d’absolu pour composer avec le réel. Il s’agit de ne plus s’aveugler, par son égoïsme, son idéologie, pour laisser la place à l’Autre, l’enfant, et lui permettre de s’inventer un futur incertain au lieu de l’enfermer dans l’étroitesse de nos rêves de grandeur.