Episode 1
C’est l’histoire d’un coup de foudre, d’une rencontre inattendue, de celles que le destin provoque parfois et offre à ceux qui gardent leur porte ouverte.
C’était une nuit douce et claire, une nuit de printemps propice aux errances nocturnes. La ville était en fête. Partout dans les rues, une foule joyeuse et insouciante. Des concerts, des spectacles changeaient le visage d’habitude si plat du centre.
J’avançais, au milieu de tous, ignorante du choc qui allait me tomber dessus.
Place de la Steccata. Une scène avait été installée. Tout autour un public sage contemplait dans un silence médusé des corps dansants soumis aux cordes d’une guitare et à la voix d’une femme. FLAMENCO.
Je me suis mêlée aux spectateurs. Et puis je suis restée là sans plus pouvoir ni bouger ni parler. La voix de la femme entrait en moi, elle drainait ses pierres et ses douleurs, elle me lacerait, je sentais que je devenais sa prisonnière. Je n’avais pas mal. Au contraire. Elle avait ouvert quelque chose en moi. Cette voix, avec toute sa puissance, sa force animale, avait atteint mon âme. Et ces femmes qui dansaient devant mes yeux donnaient corps à la voix, à sa mélancolie défaite mais jamais vaincue. FLAMENCO.
Dans les jours qui ont suivi, j’ai continué à voler si haut que je me suis réservé un vol low-cost direct ( 100 balles l’aller-retour : c’est le destin, je te dis), j’ai trouvé un super appart grâce au site d’échange de maisons @guesttoguest et …Granada, me voilà!
GRANADA
JOUR 1
Pendant l’été, je m étais renseignée sur les cours de flamenco en ville. Le choix a été vite fait. Il n’y avait qu’une école ouverte la dernière semaine d août. L’école Carmen de las Cuevas. Je m’y pointe direct le lundi matin. Une femme polyglotte et hyper-pro (ché parle espagnol-anglais-français-italien-fou choisissez) m’accueille. Mais très vite, y’ a un bins. Cette semaine, pas de cours débutant qui commence. Elle me dit qu’éventuellement, si je suis motivée, si je suis prête à attacher ma ceinture et à intégrer un groupe qui a une semaine de longueur d’avance sur moi,je pourrais faire mes premiers pas l’après-midi même. Oh, signora, comme tu es bonne et comme je t’aime.
Autre bins en vue. Comme en vol low-cost, t’es à peine autorisée à apporter ta brosse à dents, évidemment, je n’ai ni tenue ni chaussures. Mais Estrella (la fille polyglotte hyper-pro de l’ accueil ) a des ressources : elle me sort une jupe longue un peu et même très …. moche, mais bon tant pis -ai-je le choix-et elle me dit qu’il y a des chaussures à disposition dans les vestiaires. La classe.
À 15h20, je vais dans les vestiaires. J’enfile ma jupe de roumaine, je trouve une paire de chaussures à ma pointure (je prends mentalement note qu’il me faudra impérativement acheter des petites chaussettes en sortant si je veux éviter de rentrer avec des verrues).
Habillée, prête pour l’ aventure, je me rends sur le patio. J’y trouve une dizaine de personnes souriantes, détendues. Ça parle toutes les langues. Ambiance auberge espagnole. J’aime bien. Mais j’ai l’impression quand même qu’ils regardent tous ma jupe pourrie. Il y a quelques hommes – hola,guapos- mais je réfrène mes ardeurs quand je découvre qu’ils portent les mêmes chaussures à talon que moi. J’ai beau être ouverte, c’est bizarre tout de même. Je laisse tomber et je vais dans la salle de danse El Morente. Elle est riquiqui, mais c’est pas grave, le groupe est riquiqui. Il y a 5 filles, plus bibi et la prof. Parfait. Idéal. Génial.
Mes nouvelles copines de flamenco, c’est une pub pour Bene.… Elles s’appellent : Ana Maria, quarantaine d’années, de Brasilia. Delia, 43, magnifique noire (pardon, afro-américaine ) du New Jersey qui me laisse sans voix quand elle me dit que l’autre noire ( pardon, afro-américaine) du groupe est sa fille, Reya, 17 ans. What?!! Il y a Vi, 40 ans, australienne d’origine vietnamienne (à qui je raconte tout de suite tout le bien que je pense de son pays où je me suis rendue récemment. Elle me regarde bizarre après. …) et la petite Vasudha, 20 ans, londonienne d’origine indienne, qui est ici pour nourrir sa thèse en anthropologie sur le flamenco… (un peu comme dans le film VICKY CRISTINA BARCELONA, où la brune américaine préparait une thèse étrange sur le catalan…). Il est merveilleux, ce groupe. Il nous rappelle que si on est d’un endroit, on vient toujours d’ailleurs.
La prof est espagnole. Elle nous parle exclusivement en espagnol. D’ailleurs, je comprends pas toujours mais Dieu merci dans la danse, le corps est aussi une parole … Elle s’appelle Kika Quesada. Elle est blonde, jolie, … patiente.
Je sers les dents, parce que c’est dur. Je morfle. D’abord, les bras. Toujours en l’air, à s’agiter. Puis, les pieds qui frappent sauvagement le pauvre plancher ( mais qu’ est-ce qu’il t’a fait le pauvre ?). Et surtout l’attitude. L’attitude, les chéris. Épaules en arrière, poitrine en avant. Mains sur les hanches ( quand elles sont pas en l’air, bien sûr ). Menton fier. Ne jamais sourire. Rides du lion accentuées au maximum. Le flamenco, c’est sérieux, ça rigole pas. Si t’as pas compris, relis Asterix (tu noteras mes références, toujours accessibles au plus grand nombre). Mon corps souffre, saigne.
Combien de temps dure le cours?1h30?! What?!! Je commence à flipper. Est-ce que cette semaine intensive, c’était vraiment une bonne idée? Dans quel état, je vais rentrer ? J’ai presque envie de pleurer ma race. Flamenco. Souvent défaite, jamais vaincue.
Allez , ça ira mieux demain.
J’espère.
Olé!