CARNET DU VIETNAM

carnet-de-vietnam-big-sister-is-loving-youJ’ai fait un truc de ouf cet été, tu peux pas imaginer. Je suis allée au Vietnam, toute seule, un mois. Je suis comme ça, moi. J’ai pris un vol sec, un guide de voyage et je me suis envolée. Sur le papier, c’était parti pour être un kif mortel. T’imagines ?! Huit ans que j’avais pas quitté cette vieille Europe. Mon dernier voyage, c’était en 2009. A l’époque, Sarkozy et Fillon étaient encore potos. C’est dire… Mais cet été, c’était le grand retour de la routarde. Après des années dans la naphtaline, deux grossesses, des priorités bouleversées (au sommet de ma pyramide : bien choisir les couches-la tétine-le prénom-la baby-sitter-le pédiatre-l’école de mes filles), la légendaire aventurière allait prendre sa revanche sur cette traîtresse de vie. Toutes les cellules de mon corps étaient en ébullition. J’allais renaître, mec.

Ce que j’avais pas prévu, c’est que le monde avait changé. Sans moi. 

Enfin, moi aussi, j’avais changé, en vérité. J’avais vieilli. Je l’ai senti dès les préparatifs. Je me suis fixé des limites, une sorte de contrat moral avec moi-même : ok pour des vacances à la routarde, mais de dégaine hippie ou de sac à dos, que nenni. J’ai résolu facilement le dilemme. Une garde-robe Zara basic et un sac à dos trolley, que j’ai utilisé à 99 % en trolley. La classe, mec, pourquoi on devrait y renoncer ?

Le premier hôtel où je suis descendue, c’était à Ho Chi Minh. Un lit dans un dortoir de 10. On se serait cru dans le ventre d’un cachalot échoué. Toilettes en commun, à éviter après 19 heures. Des petits rideaux gris pour un semblant de privacy. J’ai commencé à avoir des suées. Comment j’allais survivre à 29 nuits en dortoir ? Il fallait que j’affine mes critères de sélection tout en respectant mon budget. Heureusement, j’ai découvert un truc qui n’existait pas à ma grande époque : le smartphone et la connexion wifi partout, même dans les cars ! Putain, mec, ça te change la vie ! Avant quand on bougeait, on choisissait gentiment son hôtel dans son routard et on se pointait à la réception en demandant une chambre, en priant pour qu’elle ait une fenêtre et pas de cafards. Pour envoyer des emails, donner des nouvelles à sa mère, on ratissait la ville pour dénicher un café internet. Là, mec, t’as ton portable, tu vas sur booking, t’as même pas besoin de carte de crédit, tu regardes les photos, tu fais ta chochotte et hop, en deux-trois mouvements, c’est plié. C’est devenu facile, mec, de voyager avec ton poto google dans la poche. 

Après Ho Chi Minh, je suis allée au bord de la mer, parce qu’il fallait que je me remette des 40°, du stress et des scooters fous de la ville. J’ai vieilli, j’te dis. Je suis allée à Mui Ne. Rien d’extraordinaire à te raconter sur cet endroit. Juste remarqué que les Viet y parlent mieux le russe que l’anglais. Là, je me suis réservé un lit dans un petit dortoir de 4, dans une guesthouse pour routards. La rolls des guesthouses du coin, avec… piscine. Je me suis fait plaisir (à 4 euros la nuit, ça aurait été con de se priver), je me suis dit que j’allais prendre mon pied. Sauf qu’à 11 heures du mat, un DJ dingo s’est installé au bord de l’eau et s’est mis à disjoncter. J’ai cru que l’eau de la piscine allait se casser et moi, le tuer. Dans ma prochaine vie, j’irai au Four Seasons écouter du Schubert. J’ai laissé tomber mon livre et j’ai joué au volley dans l’eau avec des filles, qui devaient avoir la moitié de mon âge. J’ai regardé attentivement autour de moi les corps bronzés affalés sur les chaises longues. Ils devaient TOUS avoir la moitié de mon âge. Putain, mec, j’ai vraiment flippé. Il y avait bien un autre quadra, comme moi, égaré dans cette crèche mais il avait pas assez de cheveux pour que je lui cause. De toute façon, il était trop occupé à reluquer les gamines -espèce de pervers, j’ai pensé, tu pourrais être leur père- pour me remarquer. Et les autres étaient penchés sur leur écran de smartphone. Qu’est-ce qu’ils peuvent bien foutre ? je me suis demandé. J’ai vite appris : facebook, selfies et Tinder. Faut absolument que je te parle de Tinder, parce que, franchement, ça a été la grande découverte de ce voyage, la révélation. Si tu veux choper une nana, mec, t’as plus besoin de l’approcher au bar, de lui payer un coup, de la saouler – de paroles ou de bières. Tu la matches et c’est parti. Open bar, choix illimité, 24/24, VOST, si avec ça tu chopes pas, mec, c’est que t’as pas de doigts ou que tu ressembles à Vladimir Poutine. Mais bon, ça doit pas être si facile en vérité parce que j’ai voyagé un temps avec un accro à Tinder, et malgré sa motivation, je l’ai pas beaucoup vu améliorer son score Tinder. Bref, grâce à ton smartphone, le voyage est easy, mec. Attends, j’ai pas fini. Après, si une envie saugrenue te prend de visiter un temple perdu au milieu des rizières, pas de problème, là encore. Tu sors ton meilleur poto de ta poche – t’as pas besoin d’un vrai ami à qui parler, tu te rappelles, t’as tes amis FB qui suivent en direct tes aventures- et t’inquiète, t’as ce bon vieux google maps qui t’amène à bon port. Tu peux plus te perdre, mec. TU PEUX PLUS TE PERDRE. L’angoisse.

PS : désolée pour le style, mais la fréquentation de gamins de 20 ans a eu des effets étranges et prolongés sur ma santé. L’année prochaine, si tout va bien, je m’offre une croisière avec le Nouvel Obs. Rassurez-moi, ça existe encore ?

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