La première surprise. Découvrir ce livre sur la liste des finalistes au Goncourt 2016. La seconde, le nom de l’auteur. Pas forcément très connu, mais vaguement familier : Magyd Cherfi. Quand sa trombine nous dévisage, le déclic arrive. Retour en arrière. Années 90, dans une France qui croit encore à la fusion black blanc beur, un groupe emblématique, Zebda. Tout s’éclaire : des petits gars de Toulouse qui montent un groupe de musique, sympa et sans prétention. Carton plein. Je farfouille dans le bric à brac de ma mémoire et me revient le refrain de leur titre phare : “Tomber la chemise”.
Magyd Cherfi, c’est, à l’époque, le pilier et le chanteur d’un groupe engagé qui évolue plus tard vers la politique locale avec le mouvement “Motivé-e-s”.
Ma part de Gaulois est le troisième roman de Magyd Cherfi et celui-ci est largement autobiographique. Ma part de Gaulois, ce sont les dix-huit ans de Magybd, où dominent les rêves de sa mère kabyle “le bac de son fils aîné”, promis à être non seulement le premier bac de la famille mais aussi de la cité. Dans une cité, à l’époque, obtenir le bac, c’est comme aller à la conquête des Cités d’Or, c’est plus que gagner un Tour de France, c’est réussir un tour du monde sans un rond, avec une seule jambe et les yeux bandés. Les rêves de Magyd, il en est beaucoup question dans ce récit, Magyd le poète, l’écrivain public, amoureux des lettres françaises qui se rêve une parenté avec Maupassant, Stendhal, Hugo et les autres.... Mais dans la cité toulousaine, les “cons de sa mère” ont vite fait de décourager les rêves d’ascension à coups de latte et les remettre à leur juste place.
La langue de Magyd Cherfi est colorée (si on tend l’oreille, on pourrait presque entendre l’accent toulousain); c’est une langue châtiée mais qui a du mal à s’extirper du humus populaire dans lequel elle baigne. Et cette langue parle justement du difficile et douloureux arrachement aux siens pour devenir soi. Ce récit évoque l’envol nécessaire pour se réaliser, accoucher de soi. Ce récit parle du courage parce qu’il en faut pour s’autoriser à rêver dans une cité, pour dire, sortir tout ce qu’on a dans le ventre. La violence verbale et physique qui assure la régulation des rêves acceptables et imprègne les rapports fait écho à l’impuissance de fond, à la capitulation, la résignation de ceux qui ont décroché et se savent déjà perdus. Magyd, lui, tangue entre une rive et l’autre. Il évolue à la manière d’un funambule, dans un désir mégalomaniaque de sauver tout le monde plutôt que de se sauver tout seul.
Ce livre parle donc de courage, de tous les courages. Du courage d’être soi. D’aller au bout de sa langue au risque de froisser un côté et l’autre. Une grande sincérité transpire derrière les mots de Magyd. On ne sent aucune volonté de plaire, de séduire, aucun calcul. Ce récit n’a pas été écrit pour gagner un Prix mais pour dire sa vérité. L’autre courage de Magyd, c’est de dire combien il aime la France et combien il souffre qu’elle ne l’aime pas. Ce qu’il voudrait, Magyd, comme tous les fils d’Algériens, c’est trouver et se voir reconnaître sa part de Gaulois, celle qu’on lui refuse parce qu‘il a un nom et une tête d’Arabe, et que ses papiers français ne suffiront jamais pour en faire autre chose qu’un fils d’Algérien. Bref, le vrai courage selon Magyd Cherfi, c’est d’être là où on veut être, et non à la place qui nous est assignée parce que l’on est le fils d‘un prolétaire algérien et qu’on vient d’une cité. Le courage, nous l’apprend encore Magyd, c’est de dire merde à tous pour n’écouter qu’une seule voix – car c’est la seule qui compte au fond- la sienne.
Ma Part de Gaulois, de Magyd Cherfi (Actes Sud), 259 pages.