Quand je visite une exposition de peintures, je peux en sortir dubitative, perplexe, interloquée, remuée, transportée voire extatique soit, mais déçue, presque jamais.
Pourtant ce week end, la découverte de la Collection German : Art Mexicain du XXè siècle (Frida Khalo, Diego Riveira, Rufino Tamayo, Maria Izquierdo, David Alfaro Siqueiros, Angel Zàrraga) proposée par le Palais Albergati à Bologne, m’a laissé en bouche cet arrière-goût amer qu’on appelle déception.
D’abord, ça avait mal commencé : une heure de queue dans le froid, j’avais oublié ce que c’était que de se « faire » une expo le week end. Mais j’étais là, alors j’ai lu mon livre, tandis que la file avançait à l’allure d’un escargot. Enfin, mon tour est arrivé, mais évidemment je n’étais pas seule, on était des milliers, que dis-je, des milliards- à se bousculer dans des salles exiguës pour admirer des œuvres finalement pas si nombreuses. Photos, dessins de la Frida, costumes, coiffures de l’icône Frida, reconstitution de sa chambre à coucher, viennent en renfort de la quarantaine de toiles des artistes mexicains. On compte trois-quatre toiles de Diego Riveira, mais l’homme est surtout connu pour ses grandes fresques sociales qui s’affichent dans les rues, où il dénonce le capitalisme, exalte le communisme, pas pour de gentils tableaux destinés aux murs des maisons bourgeoises. Au fil des salles, l’expo nous raconte en long, large et en travers les amours mouvementées du couple Frida-Diego, leurs trahisons, leurs ruptures, leurs réconciliations, la sexualité sans tabou de Frida, les appétits ogresques en la matière de Diego. Bref, leur vie est narrée sous forme de soap-opéra avec des rebondissements qui tiennent en haleine le spectateur qui a oublié ce qu’il est venu faire là. Ce qu’il retient, en revanche, c’est le feuilleton sentimental dans lequel les organisateurs de l’expo ont cru bon lui raconter Frida et Diego, comme si cet éclairage personnel pouvait offrir une lecture pertinente de leur œuvre… Personnellement, j’en doute. Mais surtout ça m’a agacée. Mon agacement avait un autre motif. L’image de Frida, celle qu’elle a savamment construite, avec ses jolies tenues colorées à travers lesquelles elle revendiquait ses origines amérindiennes, ses gros bijoux, ses coiffures alambiquées qui semblent les couronnes d’une princesse aztèque. Frida a construit un personnage et semble avoir compris avant l’heure l’importance et la force de l’image. Elle maîtrise parfaitement son image dans les photos que prend d’elle Nickolas Murray -son amant pendant dix ans – je vous l’ai dit, je suis devenue incollable sur l’histoire intime de Frida – ne jamais sourire, cultiver sa singularité physique. Frida appliquait le b.a-ba du marketing pour les nuls, sans le savoir. Et ça m’a dérangée. Quand un artiste construit un personnage pour se singulariser, j’ai du mal à trouver ça sympathique, parce que je n’y vois rien de sincère : tout est contrôlé, les paroles, les gestes, les regards. Il cesse de regarder en lui pour offrir aux yeux de l’autre ce qu’il veut bien lui montrer. Un soi factice, créé seulement pour le séduire, le captiver. Dès lors, l’anecdotique supplante l’essentiel, c’est à dire l’oeuvre.
Aujourd’hui, les jeunes qui veulent réussir n’ont pas l’ingénuité de Frida. Ils connaissent les règles. Ils les ont apprises en étudiant leurs idoles pendant des heures sur internet. Dans le train qui m’amenait à Bologne, j’ai lu l’interview d’une jeune chanteuse italienne, Roshelle, qui s’est fait connaître grâce à X-Factor (elle est arrivée 4è). La fille a 22 ans, des cheveux roses, des sourcils épais et noirs mais les idées très claires. On comprend vite que son modèle est Lady G. Elle dit, « je veux faire des shows à l’américaine, j’ai pris ce pseudo (elle s’appelle en réalité Rossella), parce que je veux conquérir les States ; je publie des vidéos pour mes followers – les anymals (Lady G appelle ses fans « little monsters »)…
Les jeunes aspirants au succès ont compris avant leurs aînés, l’importance d’occuper le terrain avec des images fortes, immédiatement identifiables. Cette génération a grandi avec un espace virtuel dont elle maîtrise mieux les codes que l’espace réel. Ils utilisent leur smartphone comme un stylo, ils n’ont aucun complexe et une faim énorme. Grâce à internet, ils savent que tout est possible. Chacun est une star en potentiel. Ils peuvent y arriver. Il suffit de briller. Mais ils apprendront avec le temps qu’aucune flamme ne brûle éternellement. Et que l’important, ce n’est pas tant de flamber que de durer.
Illustrations :
Photo de Frida : © Nickolas Murray
Tableau : Frida Khalo, « la Tertulia »
ciao!