Un si précieux chaos

Ce que je préfère de l’Italie, après sa cuisine (spaghetti alle vongole et orrechiette alle cime di rapa en tête), l’incroyable beauté qui émane du moindre de ses petits villages, ce sont ses artistes, ses chanteurs, ses acteurs, ses réalisateurs, ses metteurs en scène qui se battent chaque jour pour que l’Art, toujours en sursis dans la péninsule enfante des chefs d’œuvre à la hauteur de l’héritage artistique du bel paese… Je les admire pour leur volonté de préserver une voix italienne singulière, originale. Pour que l’Art, la musique, la littérature, le cinéma, le théâtre italiens maintiennent vivant l’espoir dans ce pays, où les raisons de ne plus croire sont nombreuses.

La liste de mes acteurs (qui sont parfois aussi réalisateurs) chouchous est longue, (et non exhaustive) : Elio Germano (« habité »), Kim Rossi Stuart (« nerveux et passionné »), Nanni Moretti (« unique »), Silvio Orlando (« indispensable »), Massimo Troisi (« attachant »), Roberto Benigni (« génie flamboyant »), Marcello Mastroianni (la classe faite homme), Toni Servillo (« la malice »), Michele Riondino (« à suivre »), Luca Marinelli (le « caméléon »), Claudio Santamaria (« le séducteur »)... A part Mastroianni et Massimo Troisi, tous deux envolés depuis belle lurette, les autres sont régulièrement à l’affiche.

Bref, cette introduction, pour parler d’un joli film que j’ai vu en dvd ces jours-ci : Caos Calmo, d’Antonello Grimaldi, inspiré du roman éponyme de Sandro Veronesi, sorti en 2008 (je vous l’ai dit, j’ai toujours des trains et des trains de retard sur tout…). Dans le rôle principal, celui d’un veuf, un Nanni Moretti plus pondéré, plus retenu que d’habitude. J’aime beaucoup Nanni Moretti, mais je déplore que, de film en film, comme Woody Allen, Roberto Benigni ou Louis de Funès, il répète souvent le rôle dans lequel il est connu : celui de pitre, exubérant et agaçant. Nanni Moretti, c’est l’auto-dérision, l’humour, une manière de jouer, de scander les paroles très personnelle jusqu’à la caricature… On a souvent l’impression qu‘il écrase le personnage comme s’il refusait de s’effacer pour le laisser vivre. Mais dans Caos Calmo, il semble avoir décidé de faire un pas de côté. Dans ce film, Nanni Moretti a découvert la finesse et offre un jeu subtil, délicat. Son ironie habituelle au placard, il sert le personnage. Le résultat est émouvant, sincère, vrai. J’ai regardé le film deux fois, à quelques jours de distance, pour l’histoire qui traite le deuil d’une manière originale, un thème qui me touche de près parce qu’il me renvoie aux deuils de ma vie.

Dans une des plus jolies scènes du film, un personnage secondaire invite Pietro Paladini, le personnage incarné par Nanni Moretti, à partager un plat de pâtes tomates-basilic. Très vite, l’homme explique à Pietro qu’il est veuf depuis deux ans et qu’après la mort de sa femme, il passait le balai quatre-cinq fois par jour dans l’appartement, une obsession inexplicable qui a duré un an et qui l’a peut-être empêché de s’effondrer. L’obsession de Pietro, c’est de passer ses journées devant l’école de sa fille de dix ans, Claudia, et à attendre la fin des cours. La mienne, quand ma mère est morte, c’était de passer mes journées, allongée sur le canapé, devant la télévision à regarder des programmes de télé-réalité. Pendant six mois, j’ai été incapable de regarder autre chose. J’avais besoin de me remplir de vide, de m’abrutir, j’étais anesthésiée, mon cerveau aurait été incapable de supporter une confrontation avec autre chose. Après six mois de télé-poubelle, j’ai été prise de nausée. J’avais atteint mon seuil de saturation. Je n’ai plus été capable de regarder une de ces émissions. Mon cerveau était capable de nouveau de se reconnecter au monde réel. Ce que j’ai appris, c’est que chacun traverse le deuil à sa manière, que notre corps, notre esprit s’accroche à ce qu’il peut pour ne pas être terrassé par la douleur. Pietro Paladini s’accroche à sa fille, à un tissu de petits rituels qui créent une nouvelle routine rassurante. Moi je m’agrippais aux Reines du Shopping, à Hell’s kitchen, etc.

Bref, si on revient au film Caos Calmo, je dirais que c’est un film précieux. Mon seul bémol concerne la scène « hot » du film : Nanni Moretti et Isabella Ferrari nous montrent dans une longue séquence que deux quinquas peuvent être aussi excitants et excités que des gamins. Une scène à la limite du hard, longue, crue jusqu’à en être embarrassante. Je comprends que le réalisateur veuille suggérer que Pietro Baldini revient peu à peu à la vie, au désir, mais pourquoi être aussi explicite ? J’en étais gênée pour les acteurs… Peut-être que les seuls qui aient pris leur pied dans le tournage de cette scène, ce sont le réalisateur et les techniciens autour… Ça m’a rappelé la scène interminable de sexe dans La vie d’Adèle qui, pareil, a fini par me donner la nausée. Le sexe cru, c’est comme la violence ou la télé-poubelle, il y a un moment où on sature, où ce n’est juste plus possible.

Photo : Caos Calmo, d’Antonello Grimaldi

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